Texte écrit à l’occasion de la rencontre de l'artiste Vanessa Enríquez avec Nadia Prete et Paul Stamper, à la Maison Dora Maar de Ménerbes.
« La nature multidimensionnelle du réel »
J’ai découvert pour la première fois le travail lumineux de Vanessa Enríquez à la Maison Dora Maar, en Provence, où elle présentait ses installations poétiques et partageait son expérience créative lors d’une résidence artistique. Dès qu’elle a commencé à parler, j’ai été captivé par la sensibilité de son approche et la pureté de son esthétique.
Née à Mexico en 1973, Enríquez s’est d’abord formée comme graphiste — elle est diplômée d’un master de Yale — mais elle a fini par comprendre que sa véritable vocation ne résidait pas dans la création d’images pour les autres, mais dans la production d’œuvres issues de son propre monde intérieur. En 2008, elle s’est installée à Berlin, où elle a trouvé son foyer artistique et a rapidement commencé à exposer ses premiers dessins inspirés par la nature. La méditation et la conscience intuitive nourrissent sa vision, transformant l’atmosphère et l’observation en un langage visuel — lignes, traces et textures d’origine organique.
Son père, peintre amateur, a très tôt reconnu son don artistique. Au-delà de sa formation académique à Yale, ce sont ses racines profondément mexicaines — mystiques, holistiques, respectueuses de la nature — qui guident son processus intuitif.
Elle a d’abord travaillé à l’encre noire sur papier blanc, puis a commencé à perforer du papier noir afin que la lumière puisse y révéler des silhouettes d’arbres.
À Berlin, elle collecte les matériaux abandonnés qu’elle trouve dans les rues autour de son atelier et ces objets deviennent la base de ses installations sculpturales. La première installation de ce type a eut recours à des pots en plastique noir, abandonnés près des tombes, qu'elle a suspendus en ligne dans une chapelle de cimetière. Cette œuvre éphémère a été activée lors d’une performance par des danseurs et des chanteurs pendant le vernissage de l’exposition.
Elle a ensuite commencé à utiliser des bandes magnétiques, les étirant et les suspendant pour construire des œuvres délicates aux géométries simples, qui ondulent au moindre souffle d’air. L’une de ces œuvres a servi de décor à une autre performance — une danseuse accompagnée d’un violoncelliste jouant une pièce de Bach — où le son et le mouvement remplissaient la galerie. À la fin des expositions, les œuvres sont démontées et détruites, les matériaux étant récupérés pour devenir partie intégrante de nouvelles créations.
Ainsi, elle transforme la matérialité brute des cassettes VHS en tapisseries noires crochetées et en tentures murales tissées qui mêlent les fils noirs des bandes à de la laine brute. Pour ces dernières, elle a collaboré en 2021 avec le tisserand mexicain Pedro Mendoza. Les motifs de ces œuvres monumentales sont issus de minuscules monotypes réalisés en collant puis en retirant la bande magnétique, un geste qui laisse une variété de traces sur le papier.
Plus récemment, elle a commencé à expérimenter avec des panneaux en nid d’abeille en aluminium provenant de l’industrie aérospatiale — une structure inorganique qui évoque néanmoins le monde naturel — qu’elle suspend, façonne, enduit de cire d’abeille, démonte et reconstruit. Sous ses mains, les contraires se rejoignent : les déchets industriels deviennent organiques, le chaos se transforme en calme maîtrisé.
Lorsqu’on l’interroge sur les idées derrière son travail, Enríquez cite John Cage : « Je n’ai rien à dire, et je le dis, et c’est cela la poésie dont j’ai besoin. » Il y a un silence poétique dans son œuvre. Ses installations — silencieuses, fluides, subtiles — reflètent la lumière, le mouvement et le son ; chaque pièce vibre d’un rythme délicat. Bien qu’elle ne se considère pas comme une « artiste textile » — préférant rester ouverte à des expériences encore inconnues — elle travaille pourtant beaucoup comme une fileuse : manipulant la matière comme un fil, dessinant, construisant — tissant et crochetant — la forme et l’espace.
Son exposition actuelle se tient au Château de la Napoule, à Mandelieu, en France, sous le titre Transponder II : When Stars Fall Silent.
Elle sera suivie par El Silencio sedimenta à l’Institut Culturel Mexicain de Madrid (du 9 septembre au 17 octobre), puis par une exposition à la Villa Morillon, à Berne (vernissage le 19 septembre), qui mettra en lumière son travail avec la bande magnétique.
Cette œuvre, comme le processus qui la sous-tend, est une découverte magistrale. Artiste mexicaine qui transforme les rebuts en formes monumentales et méditatives, Vanessa Enríquez nous invite à trouver la beauté dans ce qui a été rejeté.
Paul Stamper
“The Multidimensional Nature of Reality”
I first discovered the luminous work of Vanessa Enríquez at Maison Dora Maar, in Provence, where she was presenting her poetic installations and sharing her creative experience during an artist residency. The moment she began to speak, I was captivated by the sensitivity of her approach and the purity of her aesthetic.
Born in Mexico City in 1973, Enríquez trained as a graphic designer — she holds a master’s degree from Yale — but eventually realized her true calling wasn’t in creating images for others, but in making works that sprang from her own inner world. In 2008 she moved to Berlin, where she found her artistic home and soon began exhibiting her first nature-inspired drawings. Meditation and intuitive awareness feed her vision, transforming atmosphere and observation into a visual language — lines, traces, and organically derived textures.
Her father, an amateur painter, early on recognized her artistic gift. Beyond her academic training at Yale, it is her deeply Mexican roots — mystical, holistic, respectful of nature — that guide her intuitive process.
Initially working in black ink on white paper, she later began perforating black paper so that light could reveal tree silhouettes within it.
In Berlin, she collects discarded materials she finds in the streets around her studio, and these objects become the foundation for her sculptural installations. Her first such installation used repurposed black plastic pots, which were left near the tombs which she strung into a suspended line within a cemetery chapel. This ephemeral piece was activated through a performance by dancers and singers during the exhibition opening.
She then began using magnetic tape, stretching and suspending it to construct delicate works with simple geometries that sway with the slightest breeze. One such piece served as the setting for another performance — a dancer accompanied by a cellist playing a Bach piece — with sound and movement filling the gallery. When exhibitions end, the works are dismantled and destroyed, with materials salvaged to become part of new works.
In this way, she transforms the raw materiality of VHS tapes into crocheted black tapestries and woven wall hangings that mix the tapes black threads with raw wool. For the latter, in 2021, she collaborated with Mexican weaver Pedro Mendoza. The motifs for these monumental works are derived from tiny monotypes created by pasting and then removing magnetic tape, an action that leaves behind a variety of traces on paper.
More recently, she has been experimenting with aluminum honeycomb panels from the aerospace industry — an inorganic structure that nonetheless evokes the natural world — which she suspends, shapes, coats with beeswax, dismantles, and reconstructs. In her hands, opposites come together: industrial waste becomes organic, chaos is transformed into controlled calm.
Enríquez quotes John Cage when asked about the ideas behind her work: “I have nothing to say, and I am saying it, and that is poetry as I need it.” There is a poetic silence in her work. Her installations — quiet, fluid, subtle — reflect light, movement, and sound; each piece pulses with a delicate rhythm. Although she doesn’t consider herself a “textile artist” — preferring to remain open to yet-unknown experiences — she does work very much like a spinner: handling material like thread, drawing, building — weaving and crocheting — form and space.
Her current exhibition is held at Château de la Napoule, Mandelieu, France, titled Transponder II: When Stars Fall Silent.
This will be followed by El Silencio sedimenta at the Mexican Cultural Institute in Madrid (September 9–October 17), and then an exhibition at Villa Morillon in Bern (opening September 19), which will showcase her work with magnetic tape.
This work, like the process behind it, is a masterful discovery. A Mexican artist who transforms discarded debris into monumental and meditative forms, Vanessa Enríquez invites us to find beauty in what has been cast aside.
Paul Stamper