Texte analysant le travail de Diana Brennan.
Diana Brennan se prédestine d’abord à la peinture. Lors de la dernière des cinq années qu’elle passe aux Beaux arts de Sidney elle choisit une option textile de trois heures par mois. Alors fascinée par les découvertes qu’elle y fait, elle demande à travailler à la fois la peinture et la tapisserie lorsqu’elle obtient une bourse du troisième cycle du gouvernement français pour poursuivre ses études.
Une tapisserie en particulier l’a émerveillée et motive ce choix : une tapisserie de Calder qu’elle voit exposée à Sydney. Celle-ci représente une forme bleue et une autre, rouge qui lui apparait comme luminescente. C’est en s’approchant qu’elle comprend que l’artiste, à la manière des impressionnistes, a travaillé non pas avec un seul et unique fil rouge mais en entremêlant nombre d’entres eux et de nuances distinctes.
Elle étudie la première année à l’Ecole technique de Sèvres. Puis, à l’Ecole Duperré pour sa deuxième année.
Dans un premier temps, elle réalise des tapisseries. Elle tisse de grandes pièces comme de petits formats, en haute lisse, en détournant les techniques de tissage.
Elle commence par sculpter de grands formats à échelle humaine. Elle travaille le volume par des jeux de matière : rembourrages et ajout de fils. Ses premières tapisseries, trop lourdes, sont alors impossibles à stocker.
Traditionnellement, les rebords des tapisseries sont nets : une bande est tissée au commencement ainsi qu’à l’achèvement de l’ouvrage. Les premières tapisseries de Diana Brennan, en volume et de formes irrégulières, s’ouvrent et se concluent au contraire par les fils de chaine laissés apparents. Ces derniers apparaissent alors comme des franges qui font penser à celles des tapis persans. Au cours de ses recherches, elle se saisit peu à peu du principe de finition. Elle décide d’abord de rentrer les fils de chaine dans le tissage pour obtenir une bordure plus soignée. Puis, elle finit par les nouer dans une démarche proche de celle du tressage ou de la vannerie. Afin que les nœuds ne se défassent pas, elle a recours à la couture ou encore à la broderie.
Diana Brennan parle du tissage comme d’un travail à l’invisible. Il paraît en effet difficile de prévoir/d’anticiper l’aspect de la tapisserie aboutie.
Il semble intéressant de souligner à cet effet que le travail textile implique un rapport au temps particulier. Le geste, d’une grande importance, y est lent et répétitif. Le temps confère alors un caractère précieux à l’objet confectionné. En opposition à la frénésie de notre monde mondialisé et majoritairement capitaliste où « le temps » n’est qu’argent, travailler la matière textile de manière non-intensive revient à suspendre le temps. L’objet réalisé est en effet le produit d’un ralentissement.
En 1994, alors qu’elle enseigne à l’Ecole Duperré, elle aspire à un renouvellement dans sa pratique. Elle y découvre la maille et ses possibles...
UNE ECRITURE DE LA LUMIERE
Diana Brennan est sensible à la manière dont la lumière filtre à travers la matière, celle-ci même qui la révèle, lui donne forme et couleur.
L’artiste dialogue avec elle en jouant par transparence. Dans une forme d’honnêteté, elle met à nue l’ossature des structures qu’elle confectionne en utilisant du fil de nylon translucide. Les fils de chaine habituellement occultés sont laissés apparents. Ainsi, tout l’ouvrage est donné à voir au spectateur/visiteur.
Les tapisseries qu’elle crée d’abord selon ce procédé sont éclairées de derrière. La lumière change leur aspect. De même, la perception de l’œuvre évolue en fonction de la position du « regardeur ». Celle-ci s’inscrit alors dans une certaine interaction et dans un rapport particulier au corps.
Pour son projet « Jersey » mené en 2012 lors des Designer’s Days, Diana Brennan fait de la lumière le cœur même de son travail. Réalisé en collaboration avec le studio Brichet- ziegler, « Jersey » est composé de trois lampes : une lampe à poser, une lampe étagère et une lampe suspendue. Les créations tricotées de Diana Brennan et la lumière qui émanent des luminaires interagissent. La lumière diffusée par l’ampoule de la lampe révèle la finesse et la brillance des mailles métalliques qui l’enveloppe ou la prolonge. Dans un même temps, l’enveloppe créée, comme une enveloppe charnelle, donne corps à la lampe et à la lumière qu’elle diffuse. Par ces étoffes changeantes, l’artiste laisse place au rêve.
Pour « Needle work » réalisé dans le contexte des D’Days 2013, Diana Brennan collabore avec Vanessa Mitrani. L’une conçoit des volumes à l’intérieur desquels l’autre souffle du verre. Le métissage des matières est saisissant. Les mailles métalliques semblent épouser le verre. Elles s’y trouvent figées. La maille comme le verre laisse passer la lumière et parfois même la réverbère. « Needle work » est fondé sur une esthétique du raccommodage qui n’est pas sans rappeler le boro ou encore le kintsuji, techniques respectives d’assemblage de textiles et de réparation de céramiques ou porcelaines tout droit venues du Japon. Certaines pièces ont un aspect imparfait que l’on perçoit par endroits dans l’irrégularité des mailles ou bien dans le cheminement du verre au travers d’elles.
UNE DEMARCHE SCULPTURALE
Tissage et sculpture s’entremêlent dans la pratique de Diana Brennan.
Pour les racines créées, Diana Brennan adopte résolument une démarche sculpturale. Alors que le tricot circulaire offre peu de possibilité de manipulation, le tricot à plat permet des effets de surface. Elle tricote alors les racines principales à plat avant de les coudre ensemble et de les modeler tandis qu’elle confectionne les radicelles en utilisant le tricot tubulaire.
La technique du tricot s’inscrit dans une logique de contrôle. Le tricot est mathématique : il implique d’évaluer le nombre de rangées à réaliser, puis de les compter au cours du processus. Une attention particulière doit également être portée à la tension des fils.
Néanmoins, la matière réagit. Elle induit surprises et imprévus. Ainsi, le tricot a sa propre forme et s’enroule toujours. Dans son travail, Diana Brennan s’efforce à le faire tenir, à contrer sa mollesse et son s’affaissement. Elle sculpte avec mais aussi contre la matière en ce sens qu’elle en fait usage tout en cherchant toujours à en maîtriser la forme. Elle rentre donc à la fois dans un dialogue et dans une opposition à la matière.
Intéressée par la stratégie de propagation et de survie des plantes par leurs racines, Diana Brennan décide également de les représenter à l’encre de Chine. Dans ce travail mené plus récemment, elle recherche instantanéité et liberté de geste, un lâcher prise qu’elle peut moins facilement se permettre dans sa pratique textile.
AMBIVALENCES
Le travail de l’artiste est fait d’ambivalences.
Alors que traditionnellement, on associe le tricot à la douceur de la laine, Diana Brennan l’emploie en usant de fils de cuivre, d’inox et de nylon.
Délicates, fines et sensibles ses œuvres sont pourtant constituées de matières qui peuvent paraître froides car industrielles. Elles sont de fait, exclusivement métalliques ou plastiques.
Or, l’artiste parvient à donner vie à la matière inerte. Elle lui prête une consistance, une sensualité et même une certaine évanescence.
La dimension reliquaire et sacrée du travail de l’artiste est rendue évidente dans « Robes de lune ». Pour ce projet, Diana Brennan tricote de longues traînes, jupons et emmanchures à partir de fibres de lin qu’elle mêle à des fils métalliques. Ces derniers permettent une mémoire de forme. Elle associe ses tricots à des pulls de laine, objets trouvés qu’elle fait intentionnellement rétrécir par feutrage. Elle tente ainsi de rigidifier la matière molle. Ces derniers sont porteurs et vecteurs d’une histoire dont on ignore tout. Ils ont été seconde peau pour quelqu’un quelque part. Ils ont traversé le temps et en portent les marques ; l’usure. Non seulement l’artiste les fait rétrécir mais elle les découpe, les coud et les troue parfois aussi. Diana Brennan opère un détournement de la matière en en exploitant les possibles. Par assemblages, modifications et rajouts elle écrit pour elle une histoire nouvelle. Les mailles de laine resserrées de ces pulls laissent peu passer les rayons lumineux. Le travail de tricot est quant à lui translucide. D’aspect aérien et d’une finesse remarquable, fibres naturelles et métalliques s’équilibrent dans ses créations.
A mi-chemin avec la sculpture, ses réalisations apparaissent comme des corps en creux questionnant les notions de présence, d’absence et d’oubli. Hautes de plus de deux mètres et suspendues au plafond, elles apparaissent comme des âmes en suspens, spectres lumineux ou esprits célestes. L’artiste nous plonge dans un univers peuplé de songes. Sacrées, ses productions ne sont pas sans évoquer les robes longues de baptême ou de mariée. Si dans leur installation elles semblent figées, ces robes de lune brillent, scintillent et changent à mesure que l’on passe entre elles. Elles paraissent se mouvoir alors que nous évoluons parmi elles pris comme une danse. Leur scénographie laisse donc place à l’émerveillement et à la contemplation.
Romane Guet-Frapart, 2021