Sheila Hicks envisageait d’être peintre quand elle découvre les textiles du Pérou précolombien. Dès ce moment, sa carrière va définitivement être orientée vers le tissage et la fibre, dont elle voudra connaître toutes les richesses. C’est ainsi qu’elle s’initie aux techniques des tisserands et commence des travaux en deux dimensions. Continuant ses recherches, c’est lors d’un voyage en Inde qu’elle eut la révélation des couleurs et de leurs associations. Elle y découvre aussi de nouvelles matières, telle que la fibre de noix de coco.
Rassemblant plus d’une centaine d’œuvres, de 1957 à aujourd’hui, la grande galerie 3 du Centre Pompidou permet de découvrir la continuité du travail de l’artiste, qui, avec opiniâtreté, s’est attachée à une matière peu acceptée dans le domaine de l’art, plus précisément un ensemble de matières que l’on préfère voir comme réservées aux arts appliqués. Dès ses premiers essais, la grande nouveauté de la démarche de Sheila Hicks réside dans son intention de revaloriser les techniques de tissage purement artisanales et fonctionnelles, en considérant les produits obtenus comme des œuvres d’art. Parallèlement au tissage, d’autres pratiques traditionnelles de manipulation des fibres inspirent la jeune artiste : le wraping (torsades de fils autour de tiges), technique apprise chez les indiens, ou le tressage. Ces méthodes, qu’elle utilise de façon très contemporaine, s’intègrent peu à peu à sa pratique, ce qui l’entraîne à réaliser des œuvres en trois dimensions où seuls comptent le fil et la couleur. Grâce à elles, son art d’inventer des formes nouvelles va marquer le domaine de la décoration et inspirer les créateurs textiles. Le déploiement d’écheveaux des grandes sculptures souples suspendues dans la grande galerie 3 sont dans ce sens exemplaires.
Si aujourd’hui Sheila Hicks préfère que l’on n’évoque plus la tapisserie au sujet de ces travaux, nous ne pouvons oublier, particulièrement ici sur le site de T/A, qu’elle a participé à six Biennales de la Tapisserie de Lausanne, de la 3e en 1967, jusqu’à celle de 1977 où elle propose une œuvre conceptuelle, composée de piles de torchons, intitulée « Le démêloir ». Elle fut une figure tutélaire pour la plupart des artistes pratiquant l’art textile à cette époque et la Biennale était la plus importante rencontre pour l’innovation créative dans le domaine du Fiber Art. Toujours en relation étroite avec les techniques de tissage et nouage ancestrales, elle collaborera aussi dans les années 70 avec des artisans du Maroc pour la réalisation de tapis à suspendre, dont on voit un exemplaire de ces Payer Rug au Centre Pompidou, et elle réalisa des commandes de tapisseries de lices, tissées à Aubusson, dans les années 80.
Américaine d’origine, elle vit à Paris depuis 1964. Son travail y fut rapidement reconnu puisqu’elle a été une des deux artistes femmes invitées, avec Niki de Saint Phalle, à l’exposition-bilan si décriée, 60/72 : douze ans d’art contemporain en France. Cet événement, où ont été exposés 72 artistes contemporains, a eu lieu au Grand Palais, sous le commissariat de François Mathey, qui fut conservateur en chef au musée des arts décoratifs de Paris de 1953 à 1985, année de l’exposition Fiber Art 85 qui se tenait au musée et dans laquelle exposait Sheila Hicks.
Sheila Hicks n’a jamais contraint la fibre. Elle a toujours cherché à comprendre comment elle se comporte et cette exposition est un grand hommage qu’elle rend au fil : elle l’habille partiellement pour mieux faire apparaître sa souplesse, elle le ligature pour constituer des cordes maintenues par les fils colorés qui les structurent, elle l’enroule pour former des ballots qui enferment les couleurs et toujours elle tisse. Les premiers Minimes datent de 1956 et elle en réalise aujourd’hui encore. D’une grande importance dans son œuvre, ils sont indatables, contrairement à ses autres travaux qui correspondent à des périodes repérables, liées aux recherches et aux commandes. Comme dans un journal intime, ils retracent la continuité de la démarche grâce à des petits métiers nomades. Petits tissages maladroits, composés instinctivement et rapidement, ils sont d’une grande réceptivité à tous les matériaux que l’artiste rencontre et assemble. Ils reprennent ou testent (on ne peut le voir) des structures des grands travaux. Un autre apport de ces tissages est le jeu des couleurs : en laissant visible la chaîne presqu’autant que la trame les nuances des fils s’entrecroisent aussi, ce qui est impossible en peinture à moins de reprendre la technique des pointillistes. Ainsi, Sheila Hicks, qui ne veut pas réserver le fil à la tradition de la tapisserie, trouve un moyen pour que la couleur ne soit pas une surface, piège auquel tous les liciers cherchent à échapper. Imprégnée dans la matière même, la couleur, grande préoccupation de l’artiste, vibre en profondeur.
En opposition à cette approche persistante sur la couleur Sheila Hicks a construit des installations monochromes faite de pièces de tissus assemblés : les piles de torchons du « démêloir », les poches de blouses de « Pockets », accrochée au Centre Pompidou, des camisoles, des draps. Ce sont ces travaux constituant des installations, dont on ne trouve plus d’image, que la revue Textile/Art a préféré faire connaître dans les années 70/80 et nous regrettons que cette part de son travail reste méconnue.
Parce qu’elle a su se pencher sur la mémoire de civilisations anciennes, revendiquer des techniques textiles en dehors du métier à tisser, donner son autonomie à la fibre qu’elle soit guimpée, tressée, nouée, créer des ateliers où de nombreux artisans réalisaient ses créations, tout cela au service d’œuvres qui ont ouvert le passage du mur à l’espace, Sheila Hicks représente une figure de leader dans le renouveau de l’art textile.
Le site la critique a publié un intéressant compte-rendu de l’exposition de Sheila Hicks au centre Pompidou.